La Chambre de l’édit de Grenoble

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Juridiction de la Chambre de l’édit de Grenoble

Pasteur Eugène ARNAUD, Histoire des protestants de Provence, du Comtat Venaissin et de la Principauté d’Orange, pp 347-349

L’édit de Nantes ne créa pas de chambre mi-partie à Aix, mais il décida que celle de Grenoble connaîtrait des causes des réformés ressortissant au Parlement d’Aix (art. 32), et qu’en attendant l’établissement de cette Chambre, tous les procès mus ou à mouvoir entre protestants et catholiques, ou entre protestants seuls, seraient portés devant le Parlement de Grenoble (art. 43). Mais, dès l’abord, une contestation s’éleva entre les protestants de Provence et ceux du Dauphiné, au sujet du pays originaire des conseillers réformés de la Cham­bre de l’édit de Grenoble. Ces conseillers appartin­rent tous au Dauphiné, et les Provençaux auraient voulu que deux d’entre eux, sur six, eussent été pris dans leur province. Cette contestation fut portée devant l’assemblée politique provinciale de Gap (mai 1599), qui la trancha en demandant à Henri IV que le nombre des conseillers réformés de la Chambre de Grenoble fût porté de six à huit, et que les deux nouveaux con­seillers fussent attribués à la Provence. Le roi, n’ayant pas consenti à cet arrangement, qui était contraire à l’édit de Nantes, l’Assemblée politique de Saumur (1599-1601), devant qui le différend fut aussi porté, n’accueillit pas les réclamations des députés de Pro­vence, et cette affaire n’eut pas de suite.

D’autre part, comme les catholiques provençaux, contrairement à l’article 32 de l’édit de Nantes cité plus haut, avaient obtenu du Parlement d’Aix une surséance de deux mois pour la poursuite, par-devant la Chambre de l’édit de Grenoble de tous les procès qu’ils avaient avec les réformés, Henri IV édicta un règlement spé­cial dont la teneur suit : « Voulons et nous plaît que nos dits sujets de ladite Religion prétendue Réformée de notre pays de Provence jouissent de l’évocation audit Parlement de Grenoble qui leur a été accordée par l’édit de Nantes, et par même moyen, autant que besoin est, de nouveau avons renvoyé et renvoyons tous les procès desdits exposants, tant civils que criminels, mus et à mouvoir, à notre Chambre de l’édit de Grenoble et en avons interdit et défendu, interdisons et défen­dons toute… juridiction et connaissance à notre dite Cour du Parlement de Provence, excepté seulement pour les causes et procès qui concernent le paiement des dettes provenant des contributions auxquelles nos sujets de ladite Religion prétendue Réformée de notre pays de Dauphiné et de Provence sont parties. » Le roi décida que ses sujets catholiques provençaux pour­raient opter, pour des procès de cette sorte, entre la Chambre de l’édit de Castres et celle de Grenoble.

Enfin, pour que les intéressés ne se méprissent pas sur le caractère de juridiction d’appel de la Chambre de Grenoble, des lettres patentes du 29 avril 1612, confirmées par d’autres du 8 mars 1621, stipulèrent que les procès, une fois intentés par-devant les juges ordi­naires, ne pourraient être évoqués à la Chambre de Grenoble, et que les procès pendants devant les juges catholiques et intentés par des catholiques à des pro­testants ne pourraient non plus être portés à ladite Chambre sans avoir été terminés par les juges ordinai­res : après quoi la partie protestante, si elle se croyait lésée, pourrait en rappeler à Grenoble. Il fut aussi arrêté dans la Grand Chambre du Parlement d’Aix, le 17 décembre 1633, que les réformés ne pourraient récuser les commissaires des choses de l’édit, lorsque ceux-ci auraient rapporté un arrêt contradictoire sur le même procès (sauf qu’il serait fait droit sur les causes de récusation venues de nouveau à la connaissance des parties), non plus que les commissaires et autres juges, le procès une fois commencé.

On verra bientôt les entraves de toutes sortes que le Parlement d’Aix, qui ne pouvait tolérer l’amoindrisse­ment de sa juridiction, opposa à l’exercice du droit d’appel des protestants provençaux devant la Chambre exceptionnelle de Grenoble. Dans plusieurs cas , ces entraves furent de véritables dénis de justice et se tra­duisirent par des violences.

Louis XIV supprima la Chambre mi-partie de Greno­ble par un édit de juillet 1679 ; mais il laissa aux pro­testants de Provence la faculté de porter leurs affaires devant le Parlement du Dauphiné, qui passait pour moins intolérant que celui d’Aix. Cette faible garantie leur fut même ôtée, en mai 1682, par un nouvel édit du roi, qui prétendit que cette facilité était un prétexte pour empêcher, par des évocations ou par des règle­ments de juges, que la justice ne fût promptement ren­due à ses sujets.


Archives Départementales de l’Isère

Chambre de l’édit – 4 B


La suppression de la Chambre de l’édit de Grenoble

Céline Borello, Les protestants de Provence au XVIIe siècle, pp 414-416


Justin Brun-Durand

L’édit (ou traité de Paix) de Saint Germain en Laye en août 1570 permettait aux protestants d’avoir une représentation dans les instances juridiques qui étaient amenées à traiter les procès « entre parties estans de contraire religion ». Rédigé en partie par le dauphinois Calignon, l’édit de Nantes, ordonne l’établissement à Grenoble d’une chambre composée de douze conseillers et de deux présidents, moitié de chaque religion.
Cet ouvrage relate par le détail la mise en place laborieuse de cette Chambre, les péripéties de ses présidents et conseillers, et la difficulté à règlementer la diversité. Dans une région fortement protestante, le Dauphiné, où les relations entre catholique et protestants ne sont pas globalement mauvaises, cette Chambre deviendra vite un objet de jalousies et un instrument politique pour des chefs de guerre comme Lesdiguières aux allégeances religieuses changeantes. Longtemps présidée par Soffrey Calignon, (qui participa à la rédaction de l’édit de Nantes), la Chambre de l’Édit de Grenoble sera prise en otage par les différents groupes de pression (synodes, nobles, bourgeois…) et ne survivra que par une soumission complète aux volontés du pouvoir royal.
À partir des années 1660, la politique de Louis XIV retire peu à peu tous leurs droits aux protestants et les Chambres de l’Édit perdent leurs prérogatives. L’édit de Fontainebleau (Révocation de l’édit de Nantes, 1685) viendra achever de démolir l’œuvre d’Henri IV et ses rêves de concorde religieuse arbitrée par une autorité judiciaire multireligieuse.

11.2009