Du mois d’avril 1918 au printemps 1919, entre 25 et 40 millions de personnes sont mortes de la grippe espagnole.
Dans la famille d’Alphonse Appy, de La Roque d’Anthéron, cette pandémie a fait deux victimes. Les deux fils d’Alphonse (Léon et Alexandre) avaient été épargnés lors du premier conflit mondial. Mais sur ses quatre filles, deux sont mortes de la grippe en octobre 1918 : l’aînée, Nathalie (43 ans), et la cadette, Lucienne (22 ans).
Cet épisode a marqué la mémoire de la famille. Lorsque, dans les années 1960, nous allions à La Roque d’Anthéron rendre visite à Agnès (la 3e fille d’Alphonse, née en 1893 et morte en 1975), elle nous racontait, moitié en français, moitié en provençal, comment ses deux sœurs étaient mortes de la grippe espagnole à 15 minutes d’intervalle. L’une d’elles, peu de temps avant de rendre son dernier souffle, était morte apaisée ayant, dans sa fièvre, la vision d’une prairie en fleurs où elle allait se rendre et qui était, selon la tante Agnès, le début du Paradis dans l’au-delà.
Cette grippe se caractérisait par une très forte contagiosité, avec une période d’incubation de 2 à 3 jours, suivie de 3 à 5 jours de symptômes : fièvre, affaiblissement des défenses immunitaires, qui finalement permettent l’apparition de complications normalement bénignes, mais ici mortelles dans 3 % des cas, soit 20 fois plus que les grippes « normales ». Elle ne fait cependant qu’affaiblir les malades, qui meurent des complications qui en découlent. Sans antibiotiques (qui n’existaient pas encore), ces complications ne purent pas être freinées.
La mortalité importante était due à une surinfection bronchique bactérienne, mais aussi à une pneumonie due au virus. L’atteinte préférentielle d’adultes jeunes pourrait peut-être s’expliquer par une relative immunisation des personnes plus âgées ayant été contaminées auparavant par un virus proche.
Les actes de décès des deux sœurs nous indiquent que Nathalie, l’aînée (qui était fille-mère et maman d’une petite Odette née en 1911), et sa sœur, Lucienne (en sa mémoire, son prénom a été par la suite donné à mon père) sont en effet mortes le 24 octobre, à 5 heures du matin.
On comprend que cette scène ait durablement traumatisé leur sœur Agnès, alors âgée de 25 ans, qui avait perdu son mari, Eugène Villevieille, le 1er octobre 1914, alors qu’il était soldat au 163e régiment d’infanterie, tué à l’ennemi à La Poterose, près de Senones dans les Vosges.
Note : Alphonse APPY est mon trisaïeul, Léon APPY mon bisaïeul.