L’origine du nom Appy

On pense généralement que Appy est un nom d’origine anglo-saxonne, à cause de sa consonance. Que de lourdes plaisanteries à ce sujet : « Appy birthday », « Appy new year » ou « Appy day ». Plus sophistiqués sont les « Appy few » ou « Don’t worry, be Appy ».

Le quotidien Le Provençal, dans son édition du mardi 29 août 1972, à la rubrique Qui êtes-vous ?, proposait :
APY, APPY : noms de familles provençaux. Racine : àpi venant de l’italien Appio. Ce mot àpi en provençal veut aussi dire cèleri, mais je ne crois pas que les noms de familles soient tirés de cette signification.

En fait, Appy est d’origine latine. Ce nom dérive d’Appius, le prénom romain, surtout utilisé dans la gens Claudia. Tout le monde connaît la via Appia qui reliait Rome à Brindisi, construite à l’initiative de Appius Claudius Cæcus en 312 avant Jésus-Christ. La Bible parle du Forum d’Appius, lieu où les chrétiens de Rome sont venus à la rencontre de Paul sur la voie appienne (Actes 28 :15). La pomme d’api aurait dû être d’appie, puisque celui qui obtint cette sorte de pomme au moyen de la greffe était un Appius.

La Via Appia
Les pommes d’api

Le patronyme Appy, orthographié plus rarement Apy, équivaut au patronyme Appia, sa graphie italienne. Il s’agit de la même famille, l’une (Appia) restée du côté alpin devenu italien, l’autre (Appy) passée en France.

La plus ancienne mention d’un Appy se trouve dans un registre mentionné par Béatrice APPIA dans son article “Une famille vaudoise du Piémont du 14e au 19e siècle”, publié dans le Bolletino della Società di Studi Valdesi (n° 126, décembre 1969). Parmi d’autres propriétaires du village de Saint-Jean, à l’entrée du Val Pellice (aujourd’hui San Giovanni, dans le Piémont italien), apparaît Raymodo Apie le 12 mai 1348. Aujourd’hui encore, il existe le hameau des Appia sur le territoire de la commune de Luserna San Giovanni.

Détail de la carte de l’Histoire générale des Églises Évangéliques des vallées du Piémont ou Vaudoises du pasteur Jean Léger (1669)
San Giovanni
San Giovanni
San Giovanni (le temple)
Vue du site des Appia prise sur le versant opposé de la vallée
(Les Appia sont au centre de la photo, à droite le village de San Giovanni)
Hameau des Appia
Vue éloignée du site des Appia
(Le hameau des Appia est au centre de la photo)
Vue du site des Appia
(au premier plan, les toits du hameau des Appia)
Le hameau des Appia
Le hameau des Appia
Le hameau des Appia
Le hameau des Appia

Les noms de famille apparaissent aux 12e et 13e siècles. Ils viennent d’anciens prénoms, de professions, de surnoms, de lieux d’origine…

Il y a deux hypothèses pour l’adoption du patronyme Appy.

La première résulte du prénom Appius qui serait devenu le nom de la famille. Ce prénom aurait pu être utilisé en Lombardie, où se trouvaient des implantations vaudoises. C’est l’hypothèse retenue par Jean JALLA et par Osvaldo COÏSSON (voir ci-dessous) lorsqu’il parle d’une origine liée à la Gaule transpadane. J’ai longtemps été partisan de cette explication, mais je n’y crois plus à présent. Tout simplement parce qu’Appius n’est pas un prénom chrétien et qu’il aurait fallu que l’usage de ce prénom païen ait perduré depuis l’Antiquité, ce qui me paraît impossible. Il n’y a plus d’Appius au Moyen Age…

La seconde hypothèse renvoie au village d’Appy, dans les Pyrénées (aujourd’hui dans le département de l’Ariège). A priori, il n’y a pas beaucoup de rapport entre les Pyrénées et les Alpes. La seule coïncidence très troublante est l’homographie du patronyme et du toponyme.

Le premier élément est que la famille Appy ou Appia vivant dans le Piémont est une famille vaudoise et ce, de manière avérée. Osvaldo COÏSSON, dans son livre de référence : I nomi di famiglia delle Valli Valdesi consacre un article à la famille Appia. Voici ce qu’il écrit :

APPIA
Apia en 1396, Appie en 1469, Appuie, Appy
Documentation à Genève : 1282.
Dans les Vallées vaudoises : San Giovanni en 1348, Torre Pellice en 1429. C’est dans la commune de San Giovanni que les Appia sont les plus nombreux dans les siècles suivants, mais des branches de cette famille se sont aussi implantées à Luserna et à Rorà.
Le nom serait d’origine lombarde (selon Jean JALLA dans ses travaux déposés à la Bibliothèque de la Société d’Études vaudoises, Torre Pellice). Il pourrait aussi être associé au gentilice (nom de famille) Appius. Le nom de la gens (famille) Appia évoque la Gaule Transpadane (au nord du Pô). Dans le dialecte local, ce nom désigne une hache, mais on ne peut dire si les toponymes Apia (San Giovanni), Apiot (Torre Pellice), Pra l’Apia (Bobbio Pellice), Barma Apia (Villar Pellice), Cianail di Apia (San Giovanni), Li Apiot (Angrogna) proviennent du nom de famille ou de cet instrument de travail très commun dans les campagnes. Il est probable qu’au moins les deux toponymes de San Giovanni soient liés au nom de famille. Pour le toponyme Apiot (italianisé en Appiotti) de Torre Pellice, Jean JALLA (Légendes des Vallées vaudoises, II, ed. Torre Pellice, 1926) raconte la légende de la hache en or.
Le nom se retrouve parmi les émigrés en Argentine et en Uruguay (selon les indications du pasteur Silvio LONG, et selon ses articles dans le Bolletino n° 28, 1962, p 44-49).
7 Appia ont fait le premier exil de 1687 (d’après ARMAND-HUGON-EYNARD, Gli esuli Valdesi in Svizzera)
3 familles Appia vivaient dans les Vallées vaudoises en 1889, selon la liste mise en annexe au Rapport de la Table du Synode de cette année.

Le deuxième élément est que le village d’Appy dans les Pyrénées se trouve dans une zone qui était aux 13e siècle une terre d’hérésie. La présence nombreuse de cathares allait servir de prétexte à la Croisade des Albigeois, de 1208 à 1229. Montségur tombe en 1244. Les derniers cathares montent sur le bûcher en 1321. Or, ce que l’on sait moins, c’est qu’il y avait presque autant de vaudois que de cathares dans ces régions. Les vaudois, très bien implantés et menant une vie évangélique authentiquement chrétienne, ont été même les seuls pendant longtemps à s’opposer à la propagation du catharisme.

A 14 kilomètres d’Appy, donc tout près, se trouve le village de Montaillou. Ce village est très connu depuis la parution du livre d’Emmanuel LE ROY-LADURIE, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324. En 1308, à Montaillou, une rafle fut organisée par Geoffroy d’Ablis, qui était alors inquisiteur de Carcassonne. Celui-ci fit emprisonner les adultes et leur extirpa des dépositions qui serviront plus tard à Jacques Fournier, un abbé de Fontfroide qui deviendra plus tard pape, et qui fut l’organisateur d’un tribunal inquisitorial efficace et zélé. Emmanuel LE ROY-LADURIE s’est servi de ces registres pour écrire son livre. On y apprend qu’à Montaillou vivaient des cathares et des vaudois à la fin du 13e siècle et au début du 14e siècle. Il ne serait pas très surprenant qu’à Appy, situé sur une haute vallée pouvant servir aisément de refuge, il y ait eu aussi des hérétiques, et notamment des vaudois.

Appy se trouve à gauche de la carte près des Cabannes
Montaillou se trouve en haut à droite

Le troisième élément est le livre écrit par Grado G. MERLO : Eretici e inquisitori nella società piemontese del trecento. Lui aussi s’est intéressé aux registres des inquisiteurs Alberto de Castellario (1335) et Tommaso di Casasco (1373). Cet historien nous apprend que les Vallées vaudoises du Piémont italien ont accueilli des réfugiés cathares et vaudois chassés par la persécution des zones qu’ils habitaient dans le Midi de la France.

La mise en perspective de ces trois éléments peut conduire à émettre l’hypothèse qu’un vaudois du village d’Appy (ou une famille ou un groupe de personnes) se soit enfui par crainte de l’Inquisition, traversant toute l’Occitanie pour trouver refuge dans une région où il pouvait vivre sa foi en toute quiétude et – élément très important – où on parlait toujours la même langue. Les Vallées vaudoises italiennes sont en effet dans l’aire linguistique occitane. Une fois sur place, étant d’Appy, ce toponyme est devenu son patronyme, ce qui est courant à cette époque. Il est d’ailleurs remarquable que le Appy de 1348 se prénommait Raymond, ce qui fait immanquablement penser aux Raymond, comtes de Toulouse, victimes de la Croisade des Albigeois.

Mais tout cela n’est qu’une hypothèse qui mériterait d’être confirmée point par point.

Le village d’Appy
(Ariège, France)
Le village d’Appy
(Ariège, France)

Dans Lou Tresor dou Felibrige (ou Dictionnaire provençal-français), paru en 1882/1886, Frédéric Mistral a placé plusieurs articles pour Api.
Dans l’un, il rappelle qu’un api, en provençal, c’est le céleri. D’où l’expression « Tronche d’api » qui n’est pas vraiment un compliment pour celui à qui elle s’adresse.
Dans un autre article, une api est une hache, dans les Alpes comme le précise Mistral.
Une api, c’est aussi la pomme d’api.
Enfin, Api est un nom propre dont l’étymologie viendrait de l’italien Appio ou du latin Appius selon Mistral. Il ajoute : « Apy, Appy, nom de famille provençal ».

Dans la famille Appia, il y a eu quelques hommes remarquables dont plusieurs pasteurs. Adolphe Appia (1862-1928) figure dans les bons dictionnaires : c’était un cinéaste et un théoricien du théâtre suisse, un précurseur de la scénographie moderne. Louis Appia (1818-1898), un chirurgien, fut le bras droit d’Henri Dunant et participa à la fondation de la Croix Rouge. Georges Appia (1827-1910) était un pasteur, il a écrit de nombreux livres. Dominique Appia (1926-2017) est un peintre suisse contemporain.

Adolphe Appia
Dominique Appia
Louis Appia

Chez les Appy, deux hommes ont laissé leur nom à des rues :

Émile APPY (1813-1891)
Ce notaire devint maire de Lacoste puis conseiller général du canton de Bonnieux.
Une rue de Bonnieux porte son nom.

Henri APPY (1923-1957)
Ce commerçant nîmois se fit remarquer par son œuvre sociale.
Un chemin de Nîmes porte son nom.

Pour bien souligner la parenté qu’il existe entre les Appia et les Appy, un Paolo Appia né à Saluces (Italie) en 1838 vint s’installer à Puyvert (Vaucluse, France) dans les années 1860. Il s’y maria avec une de ses compatriotes et eut des enfants. L’officier d’état civil écrivit d’abord Appia comme patronyme, puis très vite il le francisa en Appy, puisque ce nom de famille était bien représenté dans le Luberon à cette époque. C’est ainsi qu’une des branches des Appy de Provence descend directement d’un Appia…

Pour terminer, il reste à parler de l’origine du nom du village ariégeois d’Appy. Ce toponyme est d’origine latine, sans doute dérive-t-il d’Appius. D’autres toponymes sont également d’origine latine dans les environs d’Appy, dont le plus important est Ax-les-Thermes. Cela démontre une occupation des lieux remontant à l’Antiquité…