La micro-histoire ou le « paradigme de l’indice »

La micro-histoire est un courant historiographique apparu en Italie au milieu des années 70. Elle concerne l’histoire culturelle et l’histoire sociale.

Elle est le fruit d’une critique et d’une réaction contre l’histoire quantitative représentée en France par le mouvement des Annales depuis la fin des années 20. Nous sommes alors dans un contexte de crise de l’explication historique ; notons que cette interrogation se situe plus largement dans un contexte de crise économique qui a ébranlé les grandes conceptualisations du moment. L’histoire quantitative consiste à extraire du document brut une ou plusieurs propriétés pour les suivre dans le temps. Les régularités sont préférées aux accidents et supposées plus représentatives. Les tenants de la micro-histoire considèrent que ce  type d’approche est plus souvent une description qu’une analyse et pensent que les interprétations sont insatisfaisantes.

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Parmi les initiateurs de ce courant, qui est d’abord une pratique, nous trouvons des  historiens comme Carlo Ginzburg, Eduardo Grendi, Giovanni Levi ; ils s’expriment dans la revue Quaderni Storici.

La micro-histoire procède à une réduction d’échelle et s’intéresse à des individus non considérés comme représentatifs d’une catégorie sociale. Ce faisant, elle n’écarte pas pour autant l’histoire globale et l’étude individuelle n’est pas contradictoire de l’étude sociale. La micro-histoire envisage l’aspect social comme un ensemble d’interrelations mobiles. Elle se donne donc pour but l’étude des objets de taille limitée, dont l’interprétation permet l’accès à des aspects ignorés par l’histoire quantitative. On considère qu’elle est constituée de deux éléments complémentaires : une reconstitution du vécu inaccessible et la mise en évidence de structures invisibles sous-tendant ce vécu.

L’étude de l’individu banal est riche d’enseignement sur les caractéristiques du monde dans lequel il vit. La réduction d’échelle met en évidence des configurations laissant apparaître des relations sociales, des stratégies individuelles et collectives. Ainsi les comportements individuels peuvent éclairer telle catégorie sociale souvent dans les interstices des systèmes normatifs. Eduardo Grendi parle « d’exceptionnel normal » et explique qu’une société se lit davantage sur ses marges qu’en son centre. C’est le « paradigme de l’indice » de Carlo Ginzburg qui, selon lui, s’oppose au paradigme galiléen (inspiré des sciences de la nature, de l’astronomie de Galilée, de la physique et passant par des formalisations mathématiques et des totalisations statistiques). Jean-Yves Grenier précise que « la singularité reconstruite prime sur la régularité décrite. » L’interprétation et la reconstruction sont  favorisées à partir d’indices et de traces. Le paradigme de l’indice recherche donc le détail peu visible, la trace presque effacée. D’une manière générale, la micro-histoire critique la tendance alors courante à détruire le personnage, et à donner des hommes des descriptions peu réalistes tout en leur attribuant des psychologies peu probables.

La micro-histoire s’articule autour de deux spécificités.

  • Elle est une démarche pratique et expérimentale, un ensemble de procédures consistant à créer des conditions d’observation qui feront apparaître des formes, des organisations, des objets inédits.
  • Elle réhabilite le récit. L’histoire récit est celle qui met au premier plan les individus et les événements. Les historiens des Annales ont rejeté le récit en privilégiant l’étude des groupes sociaux et non des individus, en appréhendant le fait social dans son ensemble, il s’agit d’une histoire dans laquelle l’événement, donc le récit, n’a pas sa place. La micro-histoire, elle, s’attache aux traces et indices, aux individus. C’est pourquoi la question du récit et de l’écriture qui le porte est essentielle ; cette dimension du travail de l’historien est toute aussi expérimentale que les procédures de la recherche qui y conduisent. On trouve dans la micro-histoire des formes argumentatives, des modes d’énonciation, des manières de citer, des jeux de métaphores spécifiques. Elles invitent le lecteur à participer à la constitution des résultats.

Bibliographie succincte

– Jacques Revel, « Histoire et sciences sociales ; les paradigmes des Annales », Annales ESC, 6, 1979 p. 1360-1376
– Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier frioulan du XVIe siècle, Paris, Aubier, 1980 (édition originale en 1976)
– Carlo Ginzburg« Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », dans Le débat (nov. 1980), p. 3-44.
– Carlo Ginzburg et Carlo Poni, « La micro-histoire », Le Débat, décembre 1981 (1979)
– Stone Laurence, « Retour au récit ou réflexions sur une nouvelle vieille histoire » Le Débat 1980 /4 p 116-142
– Giovanni Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1989 (édition originale en 1985)
– Jacques Revel, « L’histoire au ras du sol », préface de l’édition française du Pouvoir au village de Giovanni Levi, 1989
– Mythes, emblèmes, traces ; morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989 (1986) dont le chapitre Traces. Racines d’un paradigme indiciaire, pp. 139-180 ; nouvelle édition augmentée, revue par Martin Rueff, Verdier, 2010.
– Jacques Revel (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, EHESS/Gallimard/Seuil, 1996
– Carlo Ginzburg, À distance. Neuf essais sur le point de vue en histoire, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 2001