Un drame familial

Lorsque j’étais enfant, mon grand-père, Léandre APPY (1902-1972), m’avait raconté qu’un de ses aïeux viticulteur – il ne savait pas lequel – était descendu dans une cave où fermentait le raisin sans prendre la précaution d’allumer une bougie. Celle-ci, en s’éteignant, lui aurait permis de comprendre que cette cave était saturée de gaz carbonique et qu’il courait un risque mortel. L’histoire qu’il me conta ajoutait que sa femme, ne le voyant pas remonter, était descendue à son tour et avait également péri le même jour.

Dans le courant de mes recherches, j’ai trouvé l’acte de décès de Louis APPY (1812-1851). C’était le bisaïeul de mon grand-père.

Louis APPY est né à Puyvert le 12 octobre 1812, à 5h00 du matin. Son père était Louis APPY, un cultivateur, et sa mère Madeleine VIENS. Une famille protestante assez pauvre. Il allait être l’aîné d’une fratrie de 9 enfants, les autres nés à Lourmarin. Dans les années 1830, la famille alla s’établir à La Roque d’Anthéron et le père améliora sa situation puisqu’il devint ménager, c’est-à-dire propriétaire des terres qu’il cultivait.

Depuis la loi Gouvion-Saint-Cyr de 1818, la conscription se faisait par tirage au sort. Louis APPY fils tira le mauvais numéro. Précisons qu’il le tira pour son propre compte et non pour un autre, puisqu’il y avait la possibilité pour un riche de se faire remplacer moyennant une compensation financière. Le service militaire durait 6 ans. Le registre matricule le décrit ainsi : taille 1,58 m, visage ovale, front large, yeux bleus, nez moyen, bouche grande, menton large, cheveux et sourcils châtains. Arrivé au 13e Régiment d’infanterie de ligne le 12 novembre 1833, comme jeune soldat de la classe de 1832, inscrit sous le n° 435. À cause de sa petite taille, il fit partie des grenadiers voltigeurs. Le voltigeur était un fantassin porté en première ligne par un cavalier qui le prenait en croupe. Louis APPY faisait donc partie d’une unité d’infanterie légère d’élite destinée à agir en tirailleur en avant de la ligne d’un bataillon. Son régiment ayant été désigné pour faire partie de l’Armée d’Afrique, il s’embarqua avec ses camarades du 1er bataillon à Toulon, le 6 mai 1834 (sur une des deux corvettes L’Agathe et L’Oise), pour débarquer à Alger cinq jours plus tard. Le 3 avril 1835, 300 hommes du 1er bataillon se rendirent d’Alger à Bougie, où ils eurent à soutenir les attaques journalières des Kabyles pendant 11 mois. Louis APPY resta en Algérie jusqu’au 13 avril 1836, date à laquelle il retourna en France sur le vaisseau Le Nestor, pour débarquer à Ajaccio le 7 mai suivant. Après un séjour de plus de deux ans dans diverses places de la Corse, le Régiment rentra à Toulon en mai 1838, où il tint garnison jusqu’en mars 1839. Après quoi, le Régiment  fut appelé à faire partie de la division des Pyrénées orientales. Le 1er bataillon arriva à Perpignan le 24 mars 1839. Louis APPY quitta l’armée le 8 mai 1839, ayant pratiquement fait ses six années de service.

Signature de Louis APPY (1812-1851)

Le 10 septembre 1839, Louis APPY, devenu cultivateur, épousa Anne PÉRIN à La Roque d’Anthéron. Celle-ci était la fille d’un propriétaire. Contrairement à ses frères, Louis APPY ne s’établit pas à La Roque d’Anthéron. Le couple s’installa à Charleval, à la campagne de Sainte-Croix, où il eut 3 enfants, nés en 1840, 1842 et 1844. Après quoi, la famille retourna temporairement à La Roque d’Anthéron où naquit en 1848 le benjamin des enfants, Alphonse (qui devint le grand-père de mon grand-père). Ensuite, la famille s’installa dans le pays d’Aix.

En 1851, Louis APPY travaillait comme cultivateur au quartier de Malouesse, sur le territoire de la commune d’Aix-en-Provence, non loin de Luynes. Le 22 novembre, son décès est déclaré à l’officier de l’état civil. Il mourut à 11h00 du matin, alors qu’il n’avait que 39 ans. Ce décès prématuré et le fait que ce soient un commissaire de police et un médecin qui sont venus faire la déclaration attestent bien qu’il s’agit d’un décès accidentel. De plus, ce décès intervient en novembre, c’est-à-dire au moment où se fait la fermentation des raisins de la vendange faite deux mois plus tôt. C’est donc Louis APPY qui était descendu dans cette cave sans prendre la bougie…

Mais l’histoire orale familiale a augmenté le caractère dramatique de l’événement en faisant mourir sa femme le même jour. En fait, Anne PÉRIN mourut deux ans plus tard, le 8 mars 1853 à La Roque d’Anthéron. Elle n’avait que 33 ans et le petit Alphonse se retrouva orphelin alors qu’il n’avait pas encore atteint ses 5 ans…