Une famille vaudoise : les Appy

Texte paru dans La Valmasque, n° 107, hiver 2019-2020, pp 29.31

Mon fils et mon petit-fils

Les Appy, vaudois venus de la vallée du Pellice, se sont installés très tôt dans le Luberon. Leur présence à Lacoste y est avérée dès les années 1470.

D’après les recherches faites par Georges PONS, confirmées par Josie BOLLANDER, on trouve en effet :
– les deux fils de Raymond Appy, originaires de Torre Pellice : Étienne (en 1469, il est marié à Françoise Raybaud, originaire de Villar Pellice ; il est établi à Lacoste en 1474) et son frère Jean (cité dans un arrentement de 1479) ;
– un Barthélemy Appy (qui est dit Piémontais, et dont la veuve, Guillemette Medici, est citée dans un compromis en 1479) ;
– un Antoine Appy à Lacoste (cité dans un arrentement de 1479) ;
– les frères Valérian et Estienne (le premier marié à Catherine Roux, et le second marié à Françoise Hugon et vivant au Valin, à Lacoste).

C’est d’ailleurs cet Estienne Appy qui va laisser une trace un peu plus importante dans l’histoire. En effet, en novembre et décembre 1532, l’inquisiteur de la foi Jean de Roma, un dominicain, intenta un procès contre le barbe vaudois Pierre Griot. Ce dernier, jeune prédicateur, avait visité plusieurs localités vaudoises du Luberon, allant de maison en maison, au printemps 1532, accompagnant un prédicateur plus ancien, le barbe Louis. Il fut pris par l’inquisition probablement fin octobre ou début novembre 1532, dans une maison proche de Lourmarin.

Au folio 181 de l’interrogatoire mené par l’inquisiteur, on lit :

« Interrogué si a jamais esté à La Coste,
– Dict qu’il est bien vray qu’il a esté en la maison d’Estienne Appi ; non pas qu’il ait jamais presché ne ouy prescher, mais il alloit pour ce que l’oncle Gors y estoit.
 »

L’oncle Gors est probablement le barbe Georges Jehannon. Un des fils d’Estienne Appy est d’ailleurs prénommé Georges, sans doute en mémoire de ce barbe.

Au folio 182v° et 183, on lit aussi :

« Dict davantaige, le dessusdict Loys [le barbe Louis] le mena à partir de Cabrières [Cabrières-d’Avignon] à La Coste et visitèrent deux maisons, c’est assavoir la maison de Estienne Appy, baille [le baile est le représentant du seigneur dans la communauté villageoise] dudict lieu, et de Anthoine Mallan. »

Au folio 183v° : « Aussi confesse que a esté avec ledict Georges [le barbe Georges Jehannon] en la maison d’Estienne Appi. »

Et au folio 197 : « Aussi dict et confesse que en ce mesme temps, il fut avecques Georges en la maison de Estève Appi, de La Coste, et avec le barbe Loys en la maison de Anthoine Mallan. »

Au total donc, plusieurs mentions d’Estienne Appy qui lui auraient valu d’être poursuivi par l’inquisiteur. Mais ce ne fut pas le cas : Jean de Roma mourut l’année suivante, en 1533, au couvent des dominicains d’Avignon où sévissait une épidémie.

Estienne Appy est mon 16e aïeul, et son fils Georges Appy (né vers 1523) mon 15e aïeul. Et, puisqu’ils ont laissé une descendance, il semble que cette famille échappa aux massacres commis lors de l’expédition de Cabrières et Mérindol, au printemps 1545.

Comme les autres familles vaudoises, la famille Appy passa à la Réforme après le synode de Chanforan en 1532. Il fallut sans doute quelques années avant que cela ne fut effectif : les Églises protestantes ne sont dressées qu’à partir de 1560, comme à La Roque d’Anthéron.

Preuve de cet engagement huguenot, un des petits-fils d’Estienne Appy, également appelé Georges, mourut lors de la bataille de Moncontour le 3 octobre 1569, qui fut une lourde et sanglante défaite protestante durant la 3e Guerre de Religion.

Les Appy restèrent pour la plupart à Lacoste. Un des personnages emblématiques en fut, au 17e siècle, le notaire Jehan Appy qui eut une nombreuse descendance. À partir de la seconde moitié du 18e siècle, on assiste à Lacoste à des mariages entre Appy pour conserver à la fois la terre et le nom. Simone Appy, qui fut présidente de l’Association d’Études Vaudoises et Historiques du Luberon, descendait de ces Appy de Lacoste et vivait d’ailleurs encore au Valin. Sous sa conduite, j’avais pu visiter dans sa propriété la “fugaigne vieille” où avait vécu le fameux Estienne Appy du 16e siècle.

Signalons aussi un autre personnage, Daniel Appy (1807-1889), né à Lacoste et ayant vécu à Gordes. Ce médecin, républicain convaincu, s’opposa au coup d’État de 1851 et trouva un temps refuge en Angleterre pour échapper à son incarcération comme opposant politique.

Dernière remarque : la famille Appy a compté de nombreux protestants mais aucun pasteur (contrairement aux Appia). Les Appy se sont contentés de donner quelques épouses à ceux qui exerçaient ce ministère.

Ma branche familiale quitta Lacoste dès la fin du 16e siècle pour s’établir au hameau des Dauphins, sur le terroir de Roussillon. Jehan Appy “le Roux” (petit-fils du Georges fils d’Estienne cité plus haut) épousa Marie Dauphin et s’installa dans ce hameau patronymique. J’ai étudié la vie que mena cette famille de ménagers de l’édit de Nantes à sa Révocation dans le cadre d’une maîtrise d’Histoire moderne soutenue en 1991, De père en fils – Une famille protestante du Luberon (édité par Ampellos).

Au moment de la Révocation, le fils de Jehan Appy, Estienne (le prénom du premier martyr de la chrétienté s’est transmis longtemps dans cette famille) avait eu quatre fils qui portaient les prénoms des quatre premiers apôtres du Christ : Jean, Pierre, André et Jacques. Ce sont ces fils qui vont subir les conséquences de la Révocation de l’édit de Nantes en octobre 1685.

J’ai retrouvé l’acte d’abjuration collective de Roussillon des 22 et 23 octobre 1685. Au total, ce sont 35 personnes qui se présentent à la chapelle St-Joseph pour abjurer. Les Appy en font partie, hormis Jacques. Ce dernier partira au Refuge en 1687. Il recevra une aide à Genève, puis il ira jusqu’à Friedrichsdorf dans la Hesse, ville fondée en 1686 par des réfugiés huguenots français. Jacques Appy était le seul des quatre frères à avoir appris à tisser la toile. Alors que les autres étaient attachés à la terre qu’ils cultivaient, lui avait un savoir faire qui pouvait lui permettre de gagner sa vie. D’ailleurs, le fils de Jacques, un autre Étienne, s’établira comme marchand de dentelles à Friedrichsdorf et y fera souche. Une partie de sa descendance revint en France au début du 19e siècle, en Alsace, dans la région de Sainte-Marie-aux-Mines, puis dans les Vosges. Au passage, ils perdirent un “p” et donnèrent aujourd’hui des descendants portant le nom de Apy.

Les descendants des trois autres frères restés aux Dauphins et qui avaient abjuré vécurent la période du Désert. Ma branche (issue de Pierre Appy) resta protestante, mais les descendants d’André Appy devinrent catholiques et le sont encore aujourd’hui.

Vers 1750, ma branche familiale quitta Roussillon et les Dauphins pour s’établir à Lourmarin. Mes ancêtres y vécurent la Révolution. Un grand-oncle, Pierre Appy, conscrit de l’an X, fusilier au 52e Régiment d’infanterie, participa à la Campagne d’Autriche de Napoléon et disparut dans le Tyrol.

Dans les années 1830, ma branche familiale s’installa à La Roque d’Anthéron jusqu’aux années 1930. C’est d’ailleurs à La Roque d’Anthéron que mon père a vu le jour.

Je me suis également intéressé à l’origine du patronyme Appy, qui a donné le nom Appia du côté italien.

La plus ancienne mention d’un Appy se trouve dans un registre mentionné par Béatrice APPIA dans son article “Une famille vaudoise du Piémont du 14e au 19e siècle”, publié dans le Bolletino della Società di Studi Valdesi (n° 126, décembre 1969). Parmi d’autres propriétaires du village de Saint-Jean, à l’entrée du Val Pellice (aujourd’hui San Giovanni, dans le Piémont italien), apparaît Raymodo Apie le 12 mai 1348. Aujourd’hui encore, il existe le hameau des Appia sur le territoire de la commune de Luserna San Giovanni.

Les noms de famille apparaissent aux 12e et 13e siècles. Ils viennent d’anciens prénoms, de professions, de surnoms, de lieux d’origine. Il y a deux hypothèses pour l’adoption du patronyme Appy.

La première résulte du prénom romain Appius qui serait devenu le nom de la famille. Ce prénom aurait pu être utilisé en Lombardie, où se trouvaient des implantations vaudoises. C’est l’hypothèse retenue par Jean JALLA, et par Osvaldo COÏSSON lorsqu’il parle d’une origine liée à la Gaule transpadane.

La seconde hypothèse renvoie au village d’Appy, dans les Pyrénées (aujourd’hui dans le département de l’Ariège). A priori, il n’y a pas beaucoup de rapport entre les Pyrénées et les Alpes. La seule coïncidence très troublante est l’homographie du patronyme et du toponyme. Pourtant, c’est cette origine qui me semble la plus plausible. Et voici pourquoi :

– Le premier élément est que la famille Appy ou Appia vivant dans le Piémont est une famille vaudoise et ce, de manière avérée. Osvaldo COÏSSON, dans son livre de référence : I nomi di famiglia delle Valli Valdesi consacre un article à la famille Appia.

– Le deuxième élément est que le village d’Appy dans les Pyrénées se trouve dans une zone qui était aux 13e siècle une terre d’hérésie. La présence nombreuse de cathares allait servir de prétexte à la Croisade des Albigeois, de 1208 à 1229. Montségur tombe en 1244. Les derniers cathares montent sur le bûcher en 1321. Or, ce que l’on sait moins, c’est qu’il y avait presque autant de vaudois que de cathares dans ces régions. Les vaudois, très bien implantés et menant une vie évangélique authentiquement chrétienne, ont été même les seuls pendant longtemps à s’opposer à la propagation du catharisme. À 14 kilomètres d’Appy, donc tout près, se trouve le village de Montaillou. Ce village est très connu depuis la parution du livre d’Emmanuel LE ROY-LADURIE, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324. En 1308, à Montaillou, une rafle fut organisée par Geoffroy d’Ablis, qui était alors inquisiteur de Carcassonne. Celui-ci fit emprisonner les adultes et leur extirpa des dépositions qui serviront plus tard à Jacques Fournier, un abbé de Fontfroide qui deviendra plus tard pape, et qui fut l’organisateur d’un tribunal inquisitorial efficace et zélé. Emmanuel LE ROY-LADURIE s’est servi de ces registres pour écrire son livre. On y apprend qu’à Montaillou vivaient des cathares et des vaudois à la fin du 13e siècle et au début du 14e siècle. Il ne serait pas très surprenant qu’à Appy, situé sur une haute vallée pouvant servir aisément de refuge, il y ait eu aussi des hérétiques, et notamment des vaudois.

– Le troisième élément est le livre écrit par Grado G. MERLO : Eretici e inquisitori nella società piemontese del trecento. Lui aussi s’est intéressé aux registres des inquisiteurs Alberto de Castellario (1335) et Tommaso di Casasco (1373). Cet historien nous apprend que les Vallées vaudoises du Piémont italien ont accueilli des réfugiés cathares et vaudois chassés par la persécution des zones qu’ils habitaient dans le Midi de la France.

La mise en perspective de ces trois éléments peut conduire à émettre l’hypothèse qu’un vaudois du village d’Appy (ou une famille ou un groupe de personnes) se soit enfui par crainte de l’Inquisition, traversant toute l’Occitanie pour trouver refuge dans une région où il pouvait vivre sa foi en toute quiétude et – élément très important – où on parlait toujours la même langue. Les Vallées vaudoises italiennes sont en effet dans l’aire linguistique occitane. Une fois sur place, étant d’Appy, ce toponyme est devenu son patronyme, ce qui est courant à cette époque. Il est d’ailleurs remarquable que le Appy de 1348 se prénommait Raymond, ce qui fait immanquablement penser aux Raymond, comtes de Toulouse, victimes de la Croisade des Albigeois.

Pour bien souligner la parenté qu’il existe entre les Appia et les Appy, un Paolo Appia né à Saluces (Italie) en 1838 vint s’installer à Puyvert (Vaucluse, France) dans les années 1860. Il s’y maria avec une de ses compatriotes et eut des enfants. L’officier d’état civil écrivit d’abord Appia comme patronyme, puis très vite il le francisa en Appy, puisque ce nom de famille était bien représenté dans le Luberon à cette époque. C’est ainsi qu’une des branches des Appy de Provence descend directement d’un Appia.

J’avais organisé un premier Rassemblement Appy à Lacoste en juin 1981 qui avait regroupé une trentaine de descendants, dont ceux issus d’une branche rapatriée d’Algérie. Un autre Rassemblement, organisé cette fois par une autre descendante de la famille, s’est tenu à Montfuron en août 2005. Près de 90 personnes étaient venues de toute la France, mais aussi de Hollande, d’Afrique du Sud et des États-Unis. Il ne manquait que la branche installée au Brésil.

Et puisque le nom Appy s’est perpétué à travers les âges, il m’a toujours paru important de garder la mémoire de celles et ceux qui l’ont porté.