Les huguenots provençaux réfugiés dans le Brandebourg
Françoise APPY
Les Huguenots à Berlin et en Brandebourg, de Louis XIV à Hitler
Aimé Bonifas et Horsta Krum
À la suite de la Révocation de l’édit de Nantes, 220 000 protestants quittent le royaume pour gagner les pays du Refuge : Angleterre, Hollande, Suisse, Allemagne. La France, alors au faîte de sa puissance, perd ainsi une partie de ceux qui en assuraient le progrès économique et social. Berlin et le Brandebourg, ruinés par la guerre de Trente Ans, ne présentaient aucun attrait, mais le prince Frédéric-Guillaume accorda des faveurs particulières à ses coreligionnaires persécutés qui viendraient s’installer sur ses terres. Sur les 20 000 réfugiés qui s’y installèrent, 6 000 choisirent Berlin, soit le quart de la population de la ville. Ce sont eux qui en firent une des grandes métropoles européennes qui comptera 150 000 habitants vers 1850. Tous les corps de métiers étaient représentés : médecins, pharmaciens, fonctionnaires, professeurs, bijoutiers, coiffeurs, cordonniers, cultivateurs, tanneurs…, mais aussi de nombreux tisseurs et fileurs de laine, fabricants de bas, activité alors inconnue en Brandebourg. Berlin serait-elle devenue la capitale de l’Allemagne sans cet impressionnant apport ? Aujourd’hui, que sont devenus les huguenots ? Comment s’est faite leur intégration ? Quelle a été leur influence sur la culture, les sciences, la langue, la vie quotidienne et l’“Église française” qui existe toujours ? Quelles traces enfin a laissées cette présence française jusqu’à l’époque du totalitarisme nazi ? Illustré d’une trentaine de documents, ce livre apporte un éclairage original sur trois cents ans d’histoire franco-allemande.
09.2000
ÉDIT DE POTSDAM
Frédéric Guillaume, par la grâce de Dieu, Margrave de Brandebourg, Archichambellan et Prince Électeur du St-Empire, etc.
Comme les persécutions et les rigoureuses procédures qu’on exerce depuis quelque temps en France contre ceux de la Religion Réformée ont obligé plusieurs familles de sortir de ce Royaume, et de chercher à s’établir dans les Pays étrangers, nous avons bien voulu, touchés de la juste compassion que nous devons avoir pour ceux qui souffrent malheureusement pour l’Évangile et pour la pureté de la foi que nous confessons avec eux, par le présent Édit signé de notre main, offrir aux dits Français une retraite sûre et libre dans toutes les terres et provinces de notre domination, et leur déclarer en même temps de quels droits, franchises et avantages nous prétendons les y faire jouir, pour les soulager et pour subvenir en quelque sorte aux calamités avec lesquelles la Providence divine a trouvé bon de frapper une partie si considérable de son Église.
1. Afin que tous ceux qui prendront la résolution de venir s’habituer dans nos États puissent trouver d’autant plus de facilité pour s’y transporter, nous avons donné ordre à notre Envoyé extraordinaire auprès de Messieurs les États Généraux des Provinces Unies, le Sr Diest et à notre Commissaire dans la ville d’Amsterdam, le Sr Romswinckel, de fournir à nos dépens, à tous ceux de ladite Religion qui s’adresseront à eux, les bâtiments et vivres dont ils auront besoin pour faire le transport de leurs personnes, biens et familles, depuis la Hollande jusques dans la ville de Hambourg, dans laquelle ensuite notre Conseiller d’État et Résident au cercle de la basse Saxe, le Sr de Gerike, leur fera fournir toutes les commodités dont ils auront besoin pour se venir rendre dans telle Ville et Province de nos États, qu’ils trouveront bon de choisir pour le lieu de leur demeure.
2. Ceux qui seront sortis de France du côté de Sedan, Champagne, Lorraine, Bourgogne ou Provinces méridionales de ce Royaume, et qui ne trouveront pas à propos de passer par la Hollande, n’auront qu’à se rendre à Francfort-sur-le-Main et s’y adresser au Sr Mérian notre Conseiller et Résident dans ladite ville, ou au Sr Léti notre Agent, auxquels nous avons commandé aussi de les assister d’argent, de passeports et de bateaux pour les faire descendre de la rivière du Rhin jusques dans notre Duché de Clèves, où noire régence prendra soin de les faire établir dans les pays de Clèves et de la Marck, ou en cas qu’ils voulussent passer plus avant dans nos États, la dite Régence leur donnera les adresses et les commodités requises pour cela.
3. Comme nos dites Provinces se trouvent pourvues de toute sorte de commodités, non-seulement pour les nécessités de la vie, mais encore pour les manufactures, pour le commerce et pour le négoce par mer et par terre ; ceux qui se voudront établir dans nos dites Provinces, pourront choisir tel lieu pour leur établissement qu’ils jugeront le plus propre pour leur profession, soit dans les pays de Clèves, de Marck, de Ravensberg et de Minde, ou dans ceux de Magdebourg, de Halberstadt, de Brandebourg, de Poméranie et de Prusse ; et comme nous croyons que dans la Marche Électorale les villes de Stendal, Werbe, Rathenow, Brandebourg et Francfort, et dans le Pays de Magdebourg, les villes de Magdebourg, Halle et Calbe, comme aussi dans la Prusse la ville de Königsberg, leur seront les plus commodes, soit pour la facilité de s’y nourrir, vivre et subsister à vil prix, soit pour celle d’y établir le négoce ; nous avons ordonné qu’aussitôt que quelques-uns des dits Français y arriveront, ils y soient bien reçus et que l’on convienne avec eux de tout ce qui sera nécessaire pour leur établissement, leur donnant au reste une liberté entière, et mettant à leur propre gré de se déterminer pour telle Ville et Province de nos États qu’ils jugeront leur convenir le plus.
4. Les biens, les meubles, marchandises et denrées qu’ils apporteront avec eux en venant, ne seront assujettis à payer aucuns droits, ni péages, mais seront exemptés de toutes les charges et impositions de quelque nom et nature qu’elles soient.
5. Au cas que dans les villes, bourgs et villages, où les dits de la Religion iront s’établir, il se trouve des maisons ruinées, vides ou abandonnées de leurs possesseurs, et lesquelles les propriétaires ne seront pas capables de remettre en bon état, nous les leur ferons assigner et donner en pleine propriété pour eux et leurs héritiers, nous tâcherons de contenter les dits propriétaires selon la valeur des dites maisons et les ferons dégager de toutes les charges dont elles pourraient encore être redevables, soit pour hypothèques, dettes, contributions ou autres droits qui y étaient auparavant affectés. Voulons aussi leur faire fournir du bois, de la chaux, des pierres, des briques et d’autres matériaux dont ils auront besoin pour raccommoder ce qu’ils trouveront de ruiné et de défait dans lesdites maisons, lesquelles seront libres et exemptes six ans durant de toute sorte d’impositions, gardes, logement de soldats et autres charges, et ne payeront pendant le dit temps de franchise que les seuls droits de consommation.
6. Dans les villes ou autres endroits où il se trouve des places propres pour y bâtir des maisons, ceux de la Religion qui se retirent dans nos États seront autorisés d’en prendre possession pour eux et leurs héritiers, comme aussi de tous les jardins, prairies et pâturages qui y appartiendront, sans être obligés de payer les droits et autres charges dont les dites places et leurs dépendances pourraient être affectées ; et pour faciliter d’autant plus la construction des maisons qu’ils voudraient bâtir, nous leur ferons fournir tous les matériaux dont ils auront besoin et leur accorderons dix ans de franchise, pendant lesquels ils ne seront sujets à aucunes autres charges, hormis aux susdits droits de consommation. Et comme notre intention est de rendre l’établissement qu’ils voudraient faire dans nos Provinces le plus aisé qu’il sera possible, nous avons commandé aux Magistrats et à nos autres Officiers des dites Provinces, de chercher dans chaque ville des maisons à louer, dans lesquelles ils puissent être logés lorsqu’ils arriveront, et promettons de faire payer pour eux et pour leurs familles quatre ans durant le louage des dites maisons, pourvu qu’ils s’engagent de bâtir avec le temps sur les places qu’on leur assignera aux conditions susmentionnées.
7. D’abord qu’ils auront fixés leur demeure dans quelque ville ou bourg de nos États, ils seront reçus au droit de bourgeoisie et aux corps de métiers, dans lesquels ils seront propres d’entrer, et jouiront des mêmes droits et privilèges que ceux qui sont nés et domiciliés de tout temps aux dites villes et bourgs, sans qu’ils soient obligés de payer quoique ce soit pour cela et sans être sujets au droit d’aubaine ou autres, de quelque nature qu’ils soient pratiqués dans d’autres Pays et États contre les étrangers, mais seront considérés et traités en tout et partout de la même manière que nos sujets naturels.
8. Tous ceux qui voudront entreprendre quelque manufacture et fabrique, soit de draps, étoffes, chapeaux ou de telle autre sorte de marchandises qu’il leur plaira, ne seront pas seulement pourvus de tous les privilèges, octrois et franchises qu’ils peuvent souhaiter, mais nous ferons encore en sorte qu’ils soient aidés d’argent et de telles autres provisions et fournitures qu’il sera jugé nécessaire pour faire réussir leur dessein. 9. Aux Paysans et autres qui se voudront mettre à la campagne, nous ferons assigner une certaine étendue de pays pour la rendre cultivée, et les ferons secourir de toutes les nécessités requises pour les faire subsister dans le commencement, de la même manière que nous avons fait à un nombre considérable de familles Suisses qui sont venues habiter dans nos États.
10. À l’égard de la Juridiction et manière de juger les différends qui pourront subvenir aux dits Français de la Religion Réformée, nous permettons que dans les villes où il y aura plusieurs de leurs familles établies, ils puissent choisir quelqu’un d’entre eux, qui ait droit de terminer lesdits différends à l’amiable, sans aucune formalité de procès ; et si ces différends arrivent entre des Allemands et des Français, ils seront jugés conjointement par les Magistrats du lieu, et par celui qui aura été choisi pour cela parmi ceux de la Nation Française ; ce qui aura lieu aussi lorsque les différends qui arrivent entre des Français seulement ne pourront pas être vidés par la voie d’un accord amiable dont il est parlé ci-dessus.
11. Nous entretiendrons un Ministre dans chaque ville, et ferons assigner un lieu propre pour y faire l’exercice de la Religion en français, selon les coutumes et avec les mêmes cérémonies qui se seront pratiquées jusqu’à présent parmi eux en France.
12. Comme ceux de la Noblesse Française qui ont voulu se mettre sous notre protection, et entrer en notre service, y jouissent actuellement des mêmes honneurs, dignités et avantages que ceux du pays et qu’il s’en trouve plusieurs parmi eux élevés aux premières charges de notre Cour et au commandement de nos troupes, nous voulons bien continuer les mêmes grâces à ceux de la dite Noblesse qui se viendront établir à l’avenir dans nos États, leur donnant les charges, honneurs et dignités dont ils seront trouvés capables, et lorsqu’ils achèteront des fiefs ou autres biens, et terres nobles, ils les posséderont avec tous les droits, libertés et prérogatives dont la Noblesse du pays est en droit de jouir.
13. Tous les privilèges et autres droits dont il est parlé ci-dessus, auront lieu non seulement à l’égard de ceux de la Nation Française qui arriveront dans nos États après la date du présent édit, mais encore à l’égard de ceux qui s’y sont venus établir auparavant, pourvu qu’ils soient exilés de France à cause de la Religion Réformée, ceux qui font profession de la Romaine n’y pouvant prétendre en aucune manière.
14. Nous établirons des Commissaires dans chacune de nos Provinces, Duchés et Principautés, auxquels les Français de la Religion Réformée pourront avoir recours dans les besoins qui leur arriveront, non seulement au commencement de leur établissement, mais encore dans la suite ; et tous nos Gouverneurs et les Régences de nos Provinces et États auront ordre en vertu des présentes, et des commandements particuliers que nous leur enverrons, de prendre les dits de la Religion sous leur protection, de les maintenir dans tous les privilèges marqués ci-dessus, et de ne pas souffrir qu’il leur soit fait aucun tort ou injustice, mais plutôt toute sorte de faveur, aide et assistance.
Donné à Potsdam le 29 Octobre 1685.
Signé : Frédéric Guillaume.