La grande vague des abjurations collectives de 1685

Entre 1661 et l’automne 1685, les abjurations des protestants de Provence se sont accrues, la progression est lente mais sûre, même si le nombre n’a rien à voir avec les abjurations en masse qui auront lieu dès le mois d’octobre 1685. Ce mouvement s’accélère doucement et suit celui de la multiplication de la législation anti-protestante.

À partir de 1681, les choses vont changer. Un premier événement important est la dragonnade du Poitou initiée par Louvois et mise en œuvre par l’intendant Marillac. Elle dure de mai à août et aura pour conséquence l’abjuration de 30 000 protestants. De plus, en 1685, Louis XIV, alors à son apogée sur le plan militaire, est en Europe un souverain redouté et respecté. L’opinion des puissants lui importe peu et la question protestante est la seule épine dans son gouvernement dont il veut absolument se débarrasser, c’est pourquoi il va réitérer l’expérience de Marillac et l’étendre à toutes les régions ; Béarn, à partir de mois de mai, Poitou, Bas-Poitou, Aunis et Saintonge, Guyenne, Quercy, Rouergue, Haut-Languedoc, Cévennes, Dauphiné, Vivarais et Provence, la dernière à être dragonnée.

C’est donc la peur du logement qui va déclencher la vague des abjurations massives qui vont s’étendre du 16 octobre 1685 jusqu’au 5 novembre même si par la suite on trouve encore quelques actes épars. Sur la zone que j’ai étudiée 78 % des abjurations sont faites sur les 3 journées des 20, 21, et 22 octobre. On constate que cette vague suit le rythme du passage des soldats. On observe un mouvement en 3 temps collant à la route militaire :
– Zone des Baux, Eyguières
– Zone de Mérindol, Lourmarin
– Marseille

Parfois même, la crainte est telle que les habitants vont abjurer avant même l’arrivée des soldats, notamment dans les lieux à forte présence protestante. Ce fut le cas des habitants de Mérindol qui abjurent sans avoir logé les dragons ; ceux-ci sont alors envoyés à Lauris. Voici ce qu’écrit le notaire de Lauris dans une note en début de registre :

« Ils s’en allaient en foule à l’esglize pour faire leurs abiuration ayant appris que nous avions eu le logement, et leur empressement feust sy grand que le sieur vicaire feust d’obligation de faire fermer la porte de son esglize, ne pouvant pas le contenir un sy grand nombre, ainsin que la chose feust assurée le lendemain par ledict sieur vicaire et autres personnes dignes de foi quy auroient esté tesmoins oculaires. »

D’une manière générale, les abjurations ont lieu dans l’église du village, et le notaire du lieu rédige l’acte officiel. Dans la typologie des abjurations (3 types rencontrés : type 1 ou minimal, type 2 plus développé et type 3 ou baroque) elles appartiennent au type 1 minimal ce qui est bien compréhensible, étant faites sous la pression.

Approche quantitative

Pour la zone que j’ai étudiée entre octobre et décembre 1685, cette vague représente quelques 2861 individus dont 2839 sont provençaux.  La grande majorité abjure sur place, dans le lieu de résidence alors que dans la période précédente on préférait le faire ailleurs ; cela est bien compréhensible dans une situation d’urgence comme celle-ci.

Il existe un état de la population protestante en 1682. Pour la zone que j’ai étudiée, il compte environ 3574 individus. Cet écart s’explique par le fait qu’entre 1682 et 1685 abjurations et décès n’ont pas compensé les naissances et les conversions au protestantisme ; de plus il manque de précision, les données sont fournies parfois en nombre d’individus, parfois en nombre de familles sans préciser combien de membres représentent ces familles. Samuel Mours majore un peu les résultats de cet état et propose pour la Provence entière 8000 protestants en 1682. Cela permet de dire que la zone étudiée a permis de trouver trace d’environ un tiers de cette population.

Les vagues d’abjuration de la fin de l’année 1685, fruit de la contrainte physique ou tout au mieux de la terreur qu’elle inspire, marquent l’accomplissement du serment de Louis XIV lors de son sacre quand il a juré d’extirper l’hérésie. À partir de ce moment-là, l’Édit de Nantes n’aura plus de raison d’être.

Dragonnade d’Orange en 1685