La dragonnade de 1685 en Provence

L’année 1681 est en quelque sorte le « brouillon » de la grande dragonnade de 1685. En 1681, en effet, l’intendant du Poitou, Marillac, a l’idée d’utiliser le logement à des fins de conversion : logés chez des protestants, les soldats n’en partiront qu’après une abjuration. Le ministre Louvois approuve et donne son feu vert par une ordonnance du 11 avril. L’opération se déroule de mai à août, dans une violence jusqu’alors jamais pratiquée en matière de conversion. Les dragons deviennent alors les tristement célèbres « missionnaires bottés ». Louvois peut alors se targuer de 30 000 conversions. Revers de la médaille, à cette vague de violence va correspondre une vague d’émigration propageant la nouvelle à l’étranger. L’opinion européenne s’en saisit et Louis XIV, ne pouvant pas se permettre d’être mis au ban des relations internationales, rappelle les troupes immédiatement. Néanmoins, il reste convaincu de l’efficacité de la méthode.

En 1685, le contexte est différent : le roi de France est alors à l’apogée de sa puissance, il est maintenant un souverain respecté et redouté. L’opinion des autres puissances européennes lui importe peu. Mais l’existence du protestantisme reste pour lui un épineux problème dont il souhaiterait se débarrasser enfin. Il a juré lors de son sacre d’extirper l’hérésie et a en mémoire le succès de Louvois. Au printemps 1685, des troupes étaient amassées à la frontière espagnole ; leur présence n’étant plus utile, l’intendant du Béarn, Foucault, a l’idée de les utiliser à la conversion des huguenots. Le roi, maintenant peu soucieux de l’opinion des autres pays, accepte bien volontiers. La dragonnade commence donc par le Béarn, de mai à juillet. Devant le grand nombre des conversions, on décide de l’étendre aux autres régions : Poitou, Bas Poitou, Aunis et Saintonge de  entre août et septembre ; Guyenne en août ; Quercy, Rouergue, Haut Languedoc, en septembre ;  Bas Languedoc, Cévennes, fin septembre ; puis Dauphiné et Vivarais ; Enfin la Provence recevra les dragons à partir de la mi-octobre.

La Provence est donc la dernière région à être dragonnée. Cela signifie que les habitants en avaient déjà eu vent et savaient à quels troubles s’attendre. On peut raisonnablement parler de terreur. C’est le marquis de Boufflers qui conduit ses troupes en Provence en octobre 1685. Les sources laissent apparaître 3 régiments :

– Le régiment de Provence ;
– Le régiment de Dampierre ;
– Le régiment Maître de Camp Général ; c’est celui qui traverse la zone que j’ai étudiée.

Marquis de Boufflers par Claude Augustin Duflos

Au XVIIe siècle, les dragons sont considérés comme des fantassins et appartiennent à l’infanterie montée, conservant à cheval la pique et le mousquet. Les documents m’ont permis d’évaluer à environ 160 le nombre de soldats pour 4 compagnies. Sous l’Ancien Régime, un régiment était composé d’environ 20 compagnies. On peut donc évaluer un régiment à environ 800 soldats et ainsi mieux se rendre compte de ce que cela représentait pour la population.

Le 12 octobre 1685, l’intendant de Provence, Morant, envoie à ses supérieurs le plan de logement qu’il a imaginé. On y apprend que chacun des régiments est affecté à une région bien précise. Celui de Dampierre enverra des détachements dans la zone du Luc (Var) ; celui de Provence ira dans la Vallée d’Aigues et celui du Maistre de Camp Général occupera tous les autres lieux. La correspondance de l’intendant précise que Lourmarin et Mérindol sont les « deux têtes à abattre ».

Le régiment du Maistre de Camp Général est déjà entré en Provence le 17 octobre, il est réparti en 3 groupes de 4 compagnies : l’une pour les Baux, l’autre pour  Sénas, et le troisième pour Eyguières. Ils se rendront ensuite à Mérindol puis Lourmarin. Il est attesté par ailleurs que des dragons étaient stationnés à Sénas entre le 19 et le 21 octobre.

Nous parvenons à avoir une idée générale de la route des soldats mais les sources malheureusement sont lacunaires ; il est à remarquer que ni Mérindol, ni Lourmarin, les « deux têtes à abattre » n’ont eu à héberger les soldats ; avant même qu’ils n’arrivent, les protestants avaient abjuré en masse. Le chemin réellement effectué par conséquent n’est pas celui imaginé par les autorités.

Présence des dragons

En date du 17 octobre, nous savons, grâce à la correspondance Morant, que les régiments de Provence et de Dampierre sont en attente à Arles et Tarascon et que le régiment du Maistre de Camp Général est déjà en Provence.

On notera l’arrivée tardive des soldats à Marseille, attendus depuis le 28. Ils arrivent le 3 novembre vers 18 heures et sont au nombre de 60. Une seule nuit leur suffira pour obtenir les conversions des protestants marseillais. Ils repartiront le lendemain vers 14 heures non sans avoir commis nombre « de grands désordres » comme en atteste la correspondance Morant. Tels ces soldats qui ont mis à sac la maison dans laquelle ils logeaient, en ont dérobé tous les meubles et sont même allés jusqu’à vendre les portes et les fenêtres.

Même si les sources sont rares quant à ce douloureux épisode de l’histoire provençale, nous percevons la profondeur du drame vécu et les peurs suscitées. Ce n’est sans doute pas la meilleure manière pour entrer dans la nouvelle religion. Outre ces abjurations « de bouche » massives, les dragonnades ont pu être à l’origine d’un certain nombre de fuites, comme ce fut le cas en Languedoc. En Provence, début octobre, certains se réfugient à Arles, en Camargue, d’autres tentent de quitter le royaume pour rejoindre dans un premier temps Nice ou bien s’embarquent depuis Marseille pour Livourne. L’intendant Morant prend alors la décision d’interdire aux amirautés de délivrer des patentes aux huguenots en partance.  La fuite terrestre, elle, est plus difficile à contrôler. Ainsi, Maillé, menuisier et Caillé, passementier, ont réussi à s’enfuir ; ils furent condamnés par contumace.

Les protestants provençaux étaient minoritaires mais cela ne leur a pas empêché de subir les dragonnades et leurs cohortes de conséquences. Les plans de route des autorités militaires ont été contrariés ; Mérindol et Lourmarin, qui devaient être les deux places à abattre, ont cédé en entendant le bruit des bottes de ces missionnaires d’un genre très particulier.